🎄 J’étais invitée chez Khadija pour le premier Secret Santa de la saison. Sauf que la veille avec Max, on est sortis et on a dansé comme des petits fous, en pull de Noël, devant la télé en commentant l’élection de Miss France – le programme idéal. En tant dignes enfants de la mondialisation nous avons joyeusement mélangé l’héritage gastronomique de nos hôtes – vins blanc et rouge, prosecco italien, gin anglais et rhum vénézuélien – tout en chantant du Céline, du Britney et en soutenant la Miss Poitou-Charentes.
Gabriela nous avait fait un plat typique des fêtes de fin d’année, un délicieux feuilleté sucré-salé à la viande, aux olives et aux raisins secs. Tellement bon qu’il n’en restait plus, lorsque je suis arrivée à 21h – en retard comme à mon habitude, mais tout de même à l’heure pour les Miss. Bref, en ce dimanche matin hivernal, j’avais le cerveau lent que j’ai agrémenté d’un torticolis, une fois n’est pas coutume. Une condition physique non optimale à une semaine de notre déménagement, ou plutôt de notre emménagement.
Max et moi ne nous quittions plus depuis notre rencontre orchestrée par le destin (et les algorithmes d’Instagram). Un tour d’Asie en backpack et 5 sous-locations plus tard, nous étions enfin prêts à emménager dans un trois-pièces non-meublé (énorme engagement pour des digital nomads), à deux rues très précisément, du meublé qui nous avait sauvé l’an passé, entre le premier et le deuxième confinement. Notre premier confinement s’était déroulé dans un studio, une seule pièce sans aucune séparation sonore ou visuelle pendant ces longues semaines d’angoisse et d’impuissance collective. Pour le deuxième confinement, nous avions trouvé un deux-pièces avec une vraie porte à fermer entre les pièces, et là nous arrivions dans le luxe : un trois-pièces proche de la place de la Nation, les parisiens comprendront. En 2020, on comptait en confinements et en vagues de virus (lorsque j’ai écrit ces lignes, nous en étions à la 4ème vague, à l’heure où je les relis nous avons arrêté de compter). Ah, l’amour au temps du confinement !
❄️ Bref, en ce dimanche matin d’hiver, je me suis réveillée avec les cervicales gauches broyées et froides dans ce joli appartement froid, si mal isolé, humide en hiver malgré les grille-pain qui nous servaient de radiateur. Sans doute le prix à payer pour avoir passé une soirée entière à critiquer les Miss de toutes les régions de France et des territoires d’outremer (toujours pas compris ce concept d’ailleurs). J’ai donc mis mille ans à me préparer, à me sécher les cheveux et à changer 3 fois de tenue. Je me suis soigneusement tartinée de paillettes – parce qu’un brunch de Noël sans paillettes, c’est pas un brunch de Noël !
CityMapper me promettait 1h12 de trajet froid en bus pour rejoindre Le Raincy – le 16ème du 9-3 à ce qu’il parait, et ça tout le monde ne le sait pas. Après avoir pris les commandes exactes de mes amies pour le brunch – 2 pains au Nutella et un croissant aux amandes sans alcool (il semblerait selon les informations de Khadija que certains boulangers en mettent dans la crême patissière) – j’ai du me rendre à l’évidence : toutes les boulangeries de la place de la Nation avaient gardé le rideau de fer baissé, après les échauffourées des manifestations de la veille des Gilets Jaune alliés aux AntiVax – une espèce malheureusement pas en voix d’extinction, et non représentative de mes fréquentations pourtant diverses! Du coup, j’ai tenté le diable = le Monoprix de la rue de Charonne, un dimanche à midi soit une heure avant la fermeture. J’ai attrapé une jolie brioche étoilée (100% pur beurre de nos régions) et j’ai lancé la recherche de taxi.
🚕 Un chauffeur qui décline la course, puis deux, puis trois et un quatrième qui arrive dans 7 minutes, puis 9 minutes, puis 7 à nouveau, puis 0. Je tente les numéros pairs, puis les numéros impairs de la rue pour essayer de gagner du temps de trajet. En vain. Le torticolis continue de me pincer le cou. Quelle galère ! Je maudis mon énorme brioche étoilée et la rose de Noël que je trimballe en écumant les applis. Enfin – lueur d’espoir – une voiture arrive vers moi. En 2 minutes je me réfugie à l’intérieur de la Ford Mondeo noire d’Alexandre-Emmanuel, mon chauffeur-sauveur.
J’adore discuter avec les chauffeurs de taxis. Quand ces services se sont lancés, j’habitais à Miami, une ville où les transports en commun sont un cauchemar pour une banlieusarde parisienne comme moi. L’arrivée d’Uber (Hubert pour les intimes) a été un soulagement, et un vrai luxe. Cela m’a également conduite à découvrir les chemins de vie d’immigrés haïtiens et cubains. Ce dimanche à la Nation, c’est le chemin d’Alexandre-Emmanuel que j’ai croisé.
…
🚕 Après avoir parlé du temps gris, du trafic et de ses horaires de travail (19h-minuit en semaine et 5h-14h en weekend), nous avons discuté de l’évolution de la réglementation des conditions de travail des chauffeurs des ces plateformes inventées par des petits génies de la Silicon Valley. Notre conversation a ensuite pris le chemin du COVID et de ce que cette crise sanitaire avant changé dans nos vies. Alexandre-Emmanuel s’étonnait de la différence de gestion entre la France et le Cameroun, son pays d’origine : d’un côté, la peur, le principe de précaution poussé à l’extrême, aveu d’un sentiment d’impuissance, la protection et les parachutes dorés, et de l’autre, la nécessité de sortir pour travailler et se nourrir, un système D soutenu par une confiance en la médecine traditionnelle, finalement relativement efficace. Nous avons dérivé sur la colonisation, un sujet qui nous rapprochait, lui Camerounais vivant en France, et moi Française d’origine Indienne.
J’ai toujours été étonnée par le fait que les colons blancs de tous petits pays aient réussi à s’imposer sur des continents au x civilisations millénaires. Certains par la force, les armes, l’alcool, les maladies, diffusant leurs principes religieux et n’hésitant pas à organiser le commerce d’esclaves, tout en pillant des pays soit-disant découverts : épices, soie et plus récemment pétrole, ce nouvel or noir qui a remplacé le poivre.
💎Mon interlocuteur m’apprend que la culture africaine glorifie la blancheur, de la même façon que les cultures asiatiques diabolisent les noirs. On s’accorde sur le fait que les colons ont capitalisé sur cet imaginaire bien ancré, et ont réussi à contenir les rébellions, pour terminer par « diviser pour mieux régner », jusqu’à aujourd’hui et le temps des excuses politiques et des remises volontaires (?) des trésors volés… D’ailleurs la Reine Elisabeth pourrait-elle rendre le Koh-i-Noor? (je précise qu’elle était toujours bien en vie quand j’ai écrit ces lignes, il appartient désormais à son fils de rétablir le cours de l’histoire). Si on s’engouffre dans cette brèche, doit-on fermer le musée du Louvre, le musée du Quai Branly et le British Museum? Heureusement que la France n’a pas volé la Tour Eiffel, sinon on devrait la rendre aussi! Je l’aime tellement, surtout quand elle scintille la nuit…
Bref, pour en revenir à mon trajet avec Alexandre-Emmanuel, j’ai senti que j’étais tombée sur une personne brillante, bienveillante et j’ai eu envie de partager une histoire avec lui. Une histoire précieuse. Celle de ma Dadiji, ma grand-mère paternelle qui est née dans une région que la politique des hommes a coupé en deux, de manière totalement conceptuelle, théorique, arbitraire, de la même façon que les Européens se sont répartis l’Afrique.
Mon chauffeur-sauveur n’avais jamais entendu parler de cette histoire. Il ne savait pas que le Bangladesh et le Pakistan n’ont qu’une soixantaine d’années d’existence en tant que tels. Il ne savait pas qu’avant cette année terrible, ces différentes communautés religieuses vivaient en harmonie, dans une seule nation, l’Inde. En voyant leurs affaires se défaire, les Anglais ont placé des pions – des élites indiennes formées chez eux – pour administrer ce qu’il restait de l’Inde – « des Indes »comme on le disait à l’époque de la Compagnie des Indes Orientales, et comme je l’ai souvent entendu dans mon enfance.
Une réflexion sur “Dimanche 12 12 2021, Paris 20ème”